10 January 2021

Soutien juridique dans le domaine du handicap : pourquoi et comment ?

Article d’Anne Ketelaer, fondatrice de DHEI ASBL, initialement publié dans la revue Louvain Médical de Novembre 2020.

Introduction : une législation à la fois vaste et complexe

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Les fondements de la politique belge actuelle en faveur des personnes en situation de handicap datent des années 60. Ils répondaient à la volonté de leur octroyer davantage de chances de s’intégrer dans la société et de rencontrer ainsi leurs besoins spécifiques dans des domaines importants tels que l’enseignement, l’emploi ou le logement.

À l’heure actuelle, la législation relative aux droits fondamentaux des personnes en situation de handicap s’est particulièrement étendue et complexifiée.

D’une part, la législation est complexe en raison des limites institutionnelles de notre pays.

En effet, la Belgique s’inscrit dans un système fédéral avec un éclatement des compétences en matière de handicap réparties entre les niveaux fédéral, régional et communautaire.

Cette situation engendre de réelles difficultés quant à la mise en place d’une politique du handicap efficace et cohérente et ce, malgré le plan fédéral handistreaming ayant pour objectif d’intégrer une dimension handicap dans tous les domaines de la politique d’une manière transversale et préventive afin de permettre une meilleure prise en compte des besoins spécifiques des personnes en situation de handicap. Or, dans la pratique, le réseau « handistreaming » n’est pas véritablement et efficacement actif. Il n’existe pas de réelle coordination au niveau interfédéral.

Avec la 6ème réforme de l’Etat, il n’y a pas moins de huit ministres et une secrétaire d’Etat compétents dans le domaine du handicap1. Cette dispersion des compétences entre niveaux de pouvoirs est une source de perte importante non seulement d’informations mais aussi de droits pour les citoyens2.

En outre, il n’existe pas non plus de recensement national et/ou régional des besoins spécifiques des personnes en situation de handicap selon l’âge, le sexe, le type et l’intensité de handicap.

Sans données quantitatives correctement exploitables sur le handicap en Belgique, il s’avère difficile, voire impossible, d’élaborer des politiques et des actions attendues par les personnes handicapées et leurs familles.

D’autre part, la législation dans le domaine du handicap est également particulièrement vaste dans la mesure où l’Etat belge et ses entités fédérées ont signé et ratifié plusieurs conventions et traités internationaux mais aussi européens garantissant de manière effective le respect des droits Humains fondamentaux ainsi qu’un traitement égal et non-discriminatoire sur base du handicap.

La personne en situation de handicap est, par conséquent, protégée contre les diverses discriminations aux niveaux international, européen et national.

Au niveau international, le principal instrument dédié spécifiquement aux droits des personnes en situation de handicap et qui plus est, fondamental pour la défense effective de leurs droits, est la Convention des Nations Unies relative aux Droits des Personnes Handicapées (CDPH)3.

Celle-ci a été votée et signée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 13 décembre 2006.

Cette Convention onusienne a été ratifiée par l’Etat belge et ses entités fédérées en 2009 ainsi que par l’Union Européenne en 2010. La CDPH est, par conséquent, une convention mixte qui fait partie intégrante de l’ordre juridique européen. En ratifiant la Convention, l’Etat belge a l’obligation de respecter et d’adapter sa législation en conformité avec ses dispositions. Cette Convention condamne la ségrégation et oblige les Etats qui l’ont ratifiée à respecter ses dispositions en favorisant la participation pleine et effective des personnes en situation de handicap.

Elle instaure un réel changement de paradigme en consacrant une approche inclusive du handicap à tous les niveaux de la société. Les personnes en situation de handicap sont reconnues comme sujets de droits fondamentaux avec leur propre capacité juridique et leur droit à participer à la société : « Nothing about us without us ». Elle leur garantit aussi bien des droits civils et politiques que des droits économiques, sociaux et culturels. Les droits consacrés par la CDPH ne sont pas des droits théoriques et illusoires mais concrets et effectifs qui imposent l’adoption de mesures positives.

Au niveau européen, plusieurs instruments juridiques contraignants viennent également garantir de manière effective les droits des personnes en situation de handicap.

Citons, entre autres : la CEDH (Convention européenne des droits de l’homme), la CSE (Charte Sociale Européenne), la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, sans oublier la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) et de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH). De très nombreux arrêts sont rendus dans le cadre de discriminations liées au refus d’aménagements raisonnables dans différents domaines et ce, au regard de la CDPH.

À l’heure actuelle, on assiste dans l’ordre juridique international et européen à une prévalence du modèle social du handicap qui tend à s’imposer, lequel repose sur la prémisse que le handicap ne résulte pas principalement d’une condition médicale (déficience individuelle, différence spécifique de l’individu) mais bien de barrières sociales, économiques, comportementales et environnementales auxquelles les personnes en situation de handicap sont confrontées. Cette nouvelle optique appelle des changements en termes de législation, d’attitudes et d’environnement : le handicap devient une expérience collective. Dans l’arrêt HK Danmark (Jette Ring), la Cour de Justice de l’UE rend la définition de la notion handicap en conformité avec l’article 1, §2 de la CDPH : « Par personnes handicapées, on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres »4. La notion de handicap est désormais évolutive et systémique.5

Au niveau national, plusieurs instruments juridiques contraignants viennent aussi garantir les droits des personnes en situation de handicap : la Constitution, dont les art. 10-11-24 consacrent les principes fondamentaux d’égalité, de non-discrimination et le droit à l’enseignement. Notons, également, que ce 10 juillet 2020, le Sénat a approuvé une Proposition de révision de la Constitution visant à insérer un article 22ter garantissant aux personnes en situation de handicap le droit à une pleine inclusion dans la société, libellé comme suit : « Chaque personne en situation de handicap a droit à la pleine inclusion dans la société, y compris le droit à des aménagements raisonnables ».

Il s’agit là d’une avancée très importante dans la consécration des droits fondamentaux des personnes en situation de handicap en Belgique sous l’impulsion des associations du secteur6. S’ajoutent à cela non seulement la loi fédérale anti-discrimination du 10/05/2007 qui interdit toute forme de discrimination fondée notamment sur le handicap et qui consacre le droit aux aménagements raisonnables dont le refus constitue une discrimination mais aussi la loi fédérale sur la capacité protégée du 17/03/2013, relative au « nouveau » régime de protection des personnes majeures, loi réformant les régimes d’incapacité et instaurant un nouveau statut de protection conforme à la dignité humaine. Enfin, les décrets anti-discrimination, intégration et inclusion régionaux et communautaires dans les domaines de l’enseignement, du logement et du travail viennent compléter le puzzle des dispositions anti-discrimination dans le respect des compétences de chaque niveau de pouvoir, sans oublier la Jurisprudence belge.

La législation anti-discrimination à l’épreuve de la réalité du terrain

Bien qu’elles représentent, selon les derniers chiffres de l’OMS, 1,3 milliard sur l’échelle de la population mondiale, soit environ 15%, les personnes handicapées rencontrent, encore aujourd’hui, de nombreux obstacles qui les empêchent de participer activement et sur un pied d’égalité avec les autres à la vie politique, économique, sociale et culturelle7.

Malgré cette protection juridique à un triple niveau, les personnes en situation de handicap éprouvent, dans leur vie quotidienne, de grandes difficultés à faire respecter leurs droits à l’autonomie et à l’inclusion sociale dans des domaines fondamentaux tels que l’enseignement, l’emploi, le lieu de vie, l’exercice de la capacité juridique, l’accès à la justice, les soins de santé ou encore les loisirs et ce, principalement par manque d’aménagements raisonnables.

Or, le droit aux aménagements raisonnables est garanti par la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées ainsi que par notre législation anti-discrimination.

Il représente donc une notion juridique centrale dans la lutte contre les discriminations et permet aux personnes en situation de handicap de pouvoir remplir un rôle social comme tout-un-chacun.

L’aménagement raisonnable est défini à l’art.2§4 de la CDPH. Il s’agit d’une mesure concrète et individuelle adaptée aux besoins spécifiques d’une personne en situation de handicap permettant de réduire ou de compenser, autant que possible, les effets négatifs d’un environnement inadapté sur la participation d’une personne à la vie en société dans des conditions d’égalité. L’aménagement raisonnable qui peut être matériel, immatériel (coaching), organisationnel ou pédagogique consiste en une obligation immédiate dans l’ordre juridique interne et trouve à s’appliquer dans les différents domaines tels que l’enseignement, l’emploi, l’accès à la justice, le logement, l’accès aux soins de santé, l’exercice du vote électoral, etc… Son caractère raisonnable est évalué en fonction du coût, de l’impact sur l’organisation et l’environnement, de la fréquence et de la durée d’utilisation ainsi que de l’absence de solutions alternatives.8 Un aménagement raisonnable constitue bel et bien un droit d’application directe et non un privilège. Refuser de mettre en place un aménagement raisonnable est constitutif d’une discrimination.

Même si la Belgique a été une pionnière européenne en matière de législation anti-discrimination, l’application pratique de ces lois reste cependant extrêmement difficile à obtenir, en particulier pour les personnes en situation de handicap. En effet, si le droit aux aménagements raisonnables est formalisé dans la réglementation, son utilisation pour l’inclusion des personnes handicapées reste cependant rare.

Preuve en est, les réclamations soumises à UNIA (le Centre interfédéral pour l’égalité des chances) qui ont considérablement augmenté ces dernières années. La plupart d’entre elles portent sur l’accessibilité des bâtiments et des services, sur l’enseignement ainsi que sur les marchés du logement et de l’emploi. Ces réclamations démontrent aussi qu’il y a encore des efforts à faire pour réaliser les aménagements raisonnables nécessaires à la participation des personnes en situation de handicap.9

En outre, le Comité des droits des personnes handicapées des Nations Unies, dans ses dernières conclusions, s’inquiète du fait qu’il ne perçoit toujours pas dans le chef de l’Etat belge, une véritable volonté d’appliquer une politique d’inclusion de la personne handicapée que ce soit dans son lieu de vie, l’enseignement ou l’insertion professionnelle.

Les personnes en situation de handicap sont trop souvent renvoyées vers des circuits propres tels que des maisons de soins collectifs, un enseignement spécialisé ou des entreprises de travail adapté.10

Notons que le Comité de l’ONU prépare sa deuxième évaluation de la Belgique. La procédure est en cours depuis 2019. La Belgique est tenue de répondre à une liste de questions.11

Passons concrètement et succinctement en revue trois domaines fondamentaux à l’autonomie et l’inclusion sociale des personnes en situation de handicap dans lesquels elles rencontrent davantage de discriminations.

Enseignement

En vertu de l’article 24 de la CDPH, l’Etat belge et ses entités fédérées se sont engagés à veiller à ce que les personnes handicapées ne soient pas exclues, sur fondement de leur handicap, du système d’enseignement général et qu’elles puissent sur base de l’égalité avec les autres, avoir accès, dans les communautés où elles vivent, à un enseignement primaire inclusif, de qualité et gratuit, et à l’enseignement secondaire.

Cet article qui consacre leur droit à une éducation inclusive, mentionne également leurs droits aux aménagements raisonnables et aux mesures d’accompagnement individualisé.

Malgré la ratification de la CDPH, la législation anti-discrimination, les différents décrets intégration et inclusifs, le Comité ONU des droits des personnes handicapées ainsi que le Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe se sont dits préoccupés par rapport au très grand nombre d’élèves en situation de handicap qui sont dirigés systématiquement vers des écoles spécialisées et éduqués séparément des autres enfants en raison du manque d’aménagements raisonnables dans le système d’enseignement ordinaire, ce qui est contraire au principe d’égalité des chances et entraine des effets néfastes durables sur leur vie et sur leur possibilité d’inclusion sociale. Or, un enseignement inclusif conditionne une société inclusive.

En Belgique, l’éducation inclusive n’est pas suffisamment garantie, étant donné que plus de 90% d’enfants en situation de handicap se retrouvent dans l’enseignement spécialisé.

Sur 37.843 élèves fréquentant l’enseignement spécialisé, il existe seulement 5.199 mesures d’intégration dans l’enseignement ordinaire.

En outre, le nombre d’élèves en situation de handicap qui fréquente l’enseignement spécialisé et la part que représente l’enseignement spécialisé sont en constante augmentation depuis 10 ans. Pourtant, l’inclusion suggère que l’école révise ses méthodes de façon à pouvoir accueillir tous les enfants sous un seul et même toit.12

UNIA reçoit régulièrement des signalements émanant de parents d’enfants en situation de handicap qui font part des difficultés rencontrées pour mettre en œuvre des aménagements raisonnables à l’école et constate une augmentation des plaintes au cours de ces dernières années. Les textes légaux qui imposent les aménagements raisonnables ne sont pas assez connus des parents, des directions d’écoles, des équipes éducatives et leur application concrète est encore souvent difficile. 13 De plus, durant leur formation, les futurs enseignants ne sont pas ou très peu formés à l’enseignement inclusif.

Malheureusement, cette situation (le manque de soutien, le manque de formation et l’absence de changements structurels et budgétaires) met à mal le projet d’un enseignement inclusif.

Par ailleurs, deux réclamations collectives ont été déposées respectivement en 2014 et 2017 devant le Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS) contre l’Etat belge, visant la Communauté flamande et la Fédération Wallonie-Bruxelles, en violation de la Charte Sociale Européenne, pour le manque d’inclusion dans l’enseignement ordinaire des enfants atteints d’un handicap mental ou autre déficience intellectuelle, qui se voient refuser l’accès à l’enseignement ordinaire et les aides nécessaires à leur inclusion, étant ainsi exclus de l’enseignement fondamental et secondaire gratuit.

De plus, il existe également un jugement qui fait date dans le domaine de l’éducation inclusive. Le tribunal de Première Instance d’Anvers a condamné, le 7/11/2018, une école primaire belge flamande à payer 650 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral pour avoir écarté un enfant en situation de handicap mental. Le juge confirme non seulement que l’enseignement spécialisé doit rester une exception mais aussi l’obligation de mettre en place des aménagements raisonnables.14

Emploi

L’article 27 de la CDPH garantit le droit au travail des personnes en situation de handicap et à leur inclusion sur le marché du travail, ce qui implique : avoir la possibilité de gagner leur vie en accomplissant un travail librement choisi ou accepté dans un milieu de travail ouvert et accessible, favorisant l’inclusion (participation à l’économie régulière), avoir droit aux aménagements raisonnables sur les lieux de travail dans un environnement et avec une organisation de travail adaptés à leurs besoins et ce, sur un pied d’égalité avec les autres travailleurs et sans discrimination à tous les stades de la relation de travail (recrutement, embauche, en cours de carrière, rémunération, maintien et avancement).

En Belgique, le taux d’emploi des personnes handicapées reste très faible et bien inférieur à la moyenne européenne. 23% seulement des Belges en situation de handicap et âgés de 15 à 64 ans ont un emploi (alors que la moyenne européenne est de 47,4%) et 74% d’entre eux sont inactifs. 15

UNIA reçoit régulièrement des signalements émanant de personnes handicapées quant à leurs difficultés à obtenir des aménagements raisonnables dans le domaine de l’emploi et à faire respecter leurs droits avec une recrudescence depuis 2018. De leur côté, les employeurs ne connaissent pas toujours leurs obligations et ne savent pas ce qu’ils peuvent mettre en place pour permettre aux personnes en situation de handicap d’exercer leur emploi. La notion d’aménagement raisonnable n’est pas correctement prise en compte sur le lieu de travail.

C’est notamment le cas des personnes qui souhaitent retourner au travail après une période de maladie ou un accident.

LA CARPH (la Commission d’accompagnement pour le recrutement de personnes avec un handicap dans la fonction publique fédérale) dans son dernier rapport de 2018, précise que le taux d’emploi des personnes handicapées au sein de la fonction publique fédérale est de 1,25%. Il s’agit d’une diminution par rapport à 2016 et 2017. Malgré différents dispositifs pour encourager l’engagement des personnes avec un handicap dans la fonction publique, le taux d’emploi évolue peu et il reste en dessous du quota obligatoire de 3%.16

Le Comité ONU est, quant à lui, préoccupé par le faible nombre de personnes handicapées employées dans un travail régulier et du fait que le gouvernement belge ne parvient pas à atteindre les objectifs liés à l’emploi des personnes handicapées dans ses propres services ainsi que par l’absence de quotas dans le secteur privé. Trop peu de moyens sont dirigés vers la recherche d’emploi et le soutien en emploi dans le milieu ordinaire. Les financements publics sont encore majoritairement dirigés vers l’emploi dans les entreprises de travail adapté.

Il est également important de préciser que les allocations de remplacement de revenus (ARR) et d’intégration (AI) des personnes handicapées se situent en-dessous du seuil de pauvreté en Belgique. Une étude a démontré qu’elles sont largement insuffisantes pour répondre aux besoins réels les plus élémentaires. En Belgique, 41,7% des personnes handicapées sont victimes d’exclusion sociale et 39,3% ont un revenu inférieur au seuil de pauvreté européen. Ce chiffre est en constante augmentation.

Dans un avis rendu le 3/12/2019, le Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées (CSNPH) se dit préoccupé en constatant que le nombre de personnes handicapées en situation de pauvreté augmente sensiblement chaque année dans notre pays.17

Logement : le droit à l’autonomie de vie et à l’inclusion dans la société

Selon l’art. 19 de la CDPH, Les États Parties reconnaissent à toutes les personnes handicapées le droit, sur base de l’égalité avec les autres, d’avoir la même liberté de choix que les autres personnes, càd, le droit de choisir leur lieu de résidence et où et avec qui elles vont vivre, sans être obligées de vivre dans un milieu de vie particulier. Elles ont également le droit d’avoir accès à une gamme de services à domicile ou en établissement et d’accompagnement, y compris l’aide personnelle nécessaire afin de leur permettre de vivre dans la société et de s’y insérer tout en empêchant qu’elles ne soient isolées ou victimes de ségrégation. Elles ont enfin le droit de bénéficier des services et équipements sociaux adaptés à leurs besoins.

Cet article consacre, par conséquent, le droit pour toute personne en situation de handicap de vivre indépendamment, quels que soient la déficience, les besoins, l’âge, etc…

Cela implique qu’elle doit avoir la liberté de pouvoir choisir comment, où et avec qui vivre dans des logements adéquats, non pas dans des zones spécialisées, mais bien répartis dans toute la communauté, en nombre suffisant et au coût abordable afin de lui permettre d’être incluse dans la communauté.

La personne en situation de handicap doit pouvoir non seulement décider des arrangements et mode de vie (agenda journalier, style de vie, repas, activités, espaces privatifs, etc…) mais également disposer d’un outil de vie indépendante qui est l’assistance personnelle.

Le financement personnel est l’outil qui assure une vie indépendante car il est attaché et contrôlé par la personne handicapée elle-même. Le principe consacré par l’art. 19 est celui de la « désinstitutionnalisation sous toutes ses formes ».

Cependant, à heure actuelle, en Belgique, il est particulièrement problématique de constater que les moyens soient davantage investis dans les institutions plutôt que dans les financements attribués directement à la personne en situation de handicap.

En effet, le Comité ONU des droits des personnes handicapées s’inquiète du fait que la Belgique fait aujourd’hui partie des pays européens qui présentent les pourcentages les plus élevés d’enfants et d’adultes placés en institutions. Les personnes handicapées ont peu de choix pour une autonomie de vie vu le manque d’investissement et l’insuffisance des services d’assistance personnelle. Le Comité ONU recommande d’ailleurs à l’Etat belge et ses entités fédérées d’allouer les ressources nécessaires et d’œuvrer pour une politique de désinstitutionnalisation en réduisant les investissements dans les structures collectives et en favorisant les choix des personnes, tout en mettant un plan d’action du handicap transversal et global qui garantisse l’accès aux services de vie autonome.

En Région bruxelloise, malgré le décret inclusion de la COCOF du 17/01/2014, les budgets sont consacrés aux 2/3 aux institutions. Des services d’appui à une vie sociale et professionnelle existent mais leur renforcement reste très limité. En Région wallonne, la plupart des fonds sont encore affectés à l’offre résidentielle. Les budgets d’assistance personnelle sont insuffisants et ne satisfont pas à la demande. L’offre de services n’est pas diversifiée. Le mode de fonctionnement des structures d’hébergement ou d’accueil de jour est encore marqué par l’institutionnalisation. Le Gouvernement wallon veut instaurer une assurance autonomie, toujours en projet, qui, telle qu’elle est prévue, ne permettra pas une vie autonome et ne couvrira pas les besoins des personnes18

En Flandre, depuis janvier 2017, existe le PVB (PersoonsVolgend Budget = le financement qui suit la personne). Toutefois, malgré la volonté politique, la mise en œuvre du PVB n’a pas connu d’avancées significatives. Aujourd’hui, les budgets sont insuffisants et les listes d’attente pour bénéficier du financement personnel demeurent.19

Précisons, enfin, que l’Etat belge a par ailleurs été condamné en mars 2013 par le Comité Européen des Droits Sociaux pour carence de solutions d’accueil pour les personnes handicapées de grande dépendance.20

La crise COVID-19 et l’apparition de nouvelles discriminations

La crise Covid-19 a laissé des traces très profondes dans la vie des personnes en situation de handicap et de leurs familles. La voix des personnes handicapées et de grande dépendance a été très peu prise en compte dans les mesures adoptées tout au long de la gestion de cette crise sanitaire.

C’est ce qui ressort d’une enquête d’UNIA.21

Au cours de la crise Covid-19, il est apparu que l’accès des personnes handicapées aux soins hospitaliers en général et aux soins intensifs en particulier, a parfois été limité, voire purement et simplement refusé.

Comme le rapporte Louis Triaille, doctorant à l’Université Saint-Louis Bruxelles, il n’y a pas eu de réelle prise en compte des nombreuses personnes autistes, déficientes intellectuelles ou sujettes à certaines maladies mentales sans qu’un assouplissement des règles ne soit prévu à leur avantage, ni des personnes avec un handicap de grande dépendance qui n’ont pas été reconnues prioritaires face à ces services soudain surchargés ou restées dans leurs familles, sans bénéficier d’aménagements des règles de confinement22

La crise sanitaire et sociale provoquée par le COVID-19 a mis en lumière les limites institutionnelles de notre pays et la nécessité de collaboration entre les niveaux de pouvoirs tout en assurant, de manière effective, la participation politique des personnes en situation de handicap ainsi que des associations représentatives des personnes handicapées pour les décisions qui les concernent.

Conclusion

Face à cette réalité, certaines mesures pourraient être prises afin d’améliorer la situation des personnes en situation de handicap et tendre vers leur inclusion dans notre société, à savoir :

  • la mise en place effective du réseau « handistreaming » pour intégrer une dimension handicap dans tous les domaines de la politique d’une manière transversale et préventive permettant ainsi une meilleure prise en compte de leurs besoins spécifiques ;
  • la mise en place d’un recensement national et/ou régional du nombre de personnes en situation de handicap et de leurs besoins spécifiques selon l’âge, le sexe, le type et l’intensité de handicap ;
  • établir un cadastre des services et analyser leurs projets tout en tenant compte de la place des familles (les professionnels passent, les parents restent…) ;
  • la mise en place effective du concept d’aménagement raisonnable dans les domaines fondamentaux tels que l’enseignement, l’emploi, le lieu de vie, l’exercice de la capacité juridique, l’accès à la justice, les soins de santé ou les loisirs ;
  • la formation des professionnels à la bonne prise en charge des personnes en situation de handicap ainsi qu’à la législation du handicap ;
  • la mise en place, de la part des autorités politiques, de moyens humains et budgétaires suffisants (y compris les FSE mis à leur disposition par l’UE) dans une perspective d’inclusion.

La législation internationale, européenne et nationale dans le domaine du handicap étant particulièrement vaste et complexe, celle-ci est, de ce fait, encore trop souvent mal comprise ou méconnue non seulement des personnes en situation de handicap elles-mêmes et de leurs familles mais aussi des autorités publiques, politiques, des établissements scolaires, des employeurs du secteur public et privé.

Or, l’inclusion commence par la connaissance et le respect de ses droits les plus fondamentaux.

C’est sur base de ce constat que DHEI, une nouvelle ASBL a fait son apparition dans le paysage du handicap et de l’inclusion depuis le 3 mars 2020.

L’ASBL DHEI est une structure de soutien juridique dans le domaine du handicap ayant pour objectif de rendre le droit accessible aux personnes en situation de handicap et à leurs familles, de même qu’aux professionnel.le.s du secteur. Elle a pour mission sociale non seulement d’informer mais aussi de former et d’accompagner les personnes concernées à partir de deux axes principaux :

  • la formation à la législation du handicap ;
  • l’assistance juridique de première ligne.

Sa création répond à une demande sur le terrain qui existe bel et bien. Depuis sa création en mars 2020, l’ASBL DHEI a déjà traité une quatre-vingtaine de dossiers dans le cadre de l’assistance juridique de première ligne. Six domaines reviennent, de manière récurrente, dans lesquels les personnes en situation de handicap rencontrent le plus de difficultés à faire respecter leurs droits par manque d’aménagements raisonnables : l’enseignement, l’emploi, le lieu et l’autonomie de vie, l’exercice de leur capacité juridique, l’accès à la justice ainsi qu’aux soins de santé.

L’ASBL DHEI, qui conjugue à la fois l’humain et la technicité du droit, privilégie essentiellement le travail en réseaux et ce, en collaboration avec différents partenaires ayant une grande expérience dans le domaine du handicap.

Un des objectifs majeurs de l’ASBL DHEI est également de dispenser les formations et l’assistance juridique de première ligne sans répercuter les frais occasionnés sur les personnes en situation de handicap et leurs familles, le prix d’accès à la connaissance de leurs droits étant souvent un frein pour ces personnes et leurs familles.

Pour de plus amples renseignements et un soutien à l’association, retrouvez toutes les informations sur le site officiel de DHEI : www.dhei.be

Que ce soit au niveau international, européen ou national, il y a encore en réalité un long chemin à parcourir afin que soient pleinement garantis les droits des personnes en situation de handicap.

Promouvons l’autonomie plutôt que la ségrégation ! Une société inclusive se construit ensemble…

Correspondance

Mme Anne Ketelaer
Conseillère juridique et fondatrice de l’ASBL DHEI
DROIT HANDICAP ET INCLUSION asbl
Avenue Albert Jonnart,1
B-1200 Bruxelles
+32 476 64 24 49
www.dhei.be

Références

1 Groupe d’Action qui dénonce le Manque de Place pour les personnes handicapées de grande dépendance (GAMP), Politique, https://gamp.be/politique/.

2 Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées (CSNPH), avis n°2018/09 relatif au rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté 2016 émis pendant la séance plénière du 19 février 2018, avis 2018-09 du CSNPH http://ph.belgium.be/fr/avis/avis-2018-09.html

3 Convention des Nations Unies du 13 décembre 2006 relative aux droits des personnes handicapées, signée à New-York le 30 mars 2007, approuvée notamment par la loi du 13 mai 2009, M.B., 22 juillet 2009, https://www.un.org/disabilities/documents/convention/convoptprot-f.pdf

4 C.J., arrêt HK Danmark (Jette Ring), 11 avril 2013, C-335/11 et C-337/11, §4.

5 UNIA, Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées et son Protocole facultatif,

6 Proposition de révision de la Constitution visant à insérer au titre II de la Constitution un article 22ter, déposée le 18/11/2019, https://gamp.be/new/wp-content/uploads/2020/07/projet-changement-con…

7 Organisation mondiale de la santé, 10 faits sur le handicap, https://www.who.int/features/factfiles/disability/fr/

8 Protocole du 19 juillet 2007 relatif au concept d’aménagements raisonnables en Belgique en vertu de la loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination et modifiant la loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l’égalité des chances et de lutte contre le racisme, M.B., 20 septembre 2007, https://www.unia.be/files/Documenten/Wetgeving/Protocol.pdf

9 UNIA, Le travail d’UNIA en 2019 exprimé en chiffres, https://www.unia.be/fr/publications-et-statistiques/publications/rapport-chiffres-2019

10 Comité des droits des personnes handicapées, Observations finales concernant le rapport initial de la Belgique, CRPD/C/BEL/CO/1, octobre 2014

11 Committee on the Rights of Persons with Disabilities, List of issues prior to the submission of the combined second and third periodic reports of Belgium, 30 avril 2019, https://www.unia.be/files/Documenten/List_of_issues_2019.pdf

12 UNIA, avis concernant le Pacte pour un enseignement d’excellence, mars 2017, https://www.unia.be/files/Documenten/Aanbevelingen-advies/Pacte_dexcellence_-_avis_UNIA_16_mars_2017.pdf

13 UNIA, À l’école de ton choix avec un handicap: les aménagements raisonnables dans l’enseignement, 2019, https://www.unia.be/fr/publications-et-statistiques/publications/lecole-…

14 Civ. Anvers, 7 novembre 2018, https://www.unia.be/files/Documenten/Rechtspraak/Rechtbank_Eerste_aanleg_Antwerpen__7_november_2018.pdf

15 Service public fédéral, 23% des personnes avec un handicap ont un emploi, 29 novembre 2018, https://statbel.fgov.be/fr/nouvelles/23-des-personnes-avec-un-handicap-ont-un-emploi

16 Commission d’accompagnement pour le recrutement de personnes avec un handicap dans la fonction publique fédérale (CARPH), Rapport d’évaluation 2018, p. 4, https://fedweb.belgium.be/fr/publications/carph-rapport-d%C3%A9valuation…

17 K. HERMANS, J.-M. DUBOIS et A. VANROOSE, Handicap et Pauvreté en Belgique, 1ère édition, 2019, https://socialsecurity.belgium.be/sites/default/files/content/docs/fr/pu…

18 UNIA, Information pour la liste préalable Belgique (contribution), mars 2019 , pp. 13-14, https://www.unia.be/files/Documenten/Artikels/Rapport_parall%C3%A8le_2019_-_Contribution_Unia.pdf

19 L. OP DE BEECK, W. SCHEPERS et T. VAN REGENMORTEL, Evaluatieonderzoek naar de implementatie van het basisondersteuningsbudget, rapport n°11, juin 2018, https://www.vaph.be/sites/default/files/documents/evaluatieonderzoek-naar-de-implementatie-van-het-basisondersteuningsbudget/2018_07_rapport_11_ef12_vaph_bob.pdf

20 Résolution CM/ResChS(2013)16 du Comité des Ministres portant sur la réclamation collective n° 75/2011, 16 octobre 2013, https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectID=09000016805…

21 UNIA, La crise du coronavirus a eu un impact dramatique sur les personnes en situation de handicap, 8 juillet 2020, https://www.unia.be/fr/articles/la-crise-du-coronavirus-a-eu-un-impact-d…

22 L. TRIAILLE, « Handicaps et mesures sanitaires: comment couvrir des besoins invisibles », Journal Le Soir, 30 mai 2020, https://plus.lesoir.be/303397/article/2020-05-30/handicaps-et-mesures-sa…

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