20 October 2025

CARTE BLANCHE

Je m’appelle Sarah Moon Howe, je suis cinéaste mais je suis aussi et surtout la maman de Jack.

Jack mon fils de 20 ans , né avec une malformation cérébrale causée par une mutation génétique rare, entraînant une lasagne de handicaps dont une épilepsie qui était réfractaire, un risque accru d’ AVC, une déficience intellectuelle, quelques intérêts restreints pénibles, des problèmes d’ordre moteurs comme une cyphose importante, le port de chaussures orthopédiques et une fatigabilité importante.

En dépit de tout ça, Jack est heureux  et on me dit souvent qu’il en a l’air.

Je crois que si il est heureux c’est aussi parce que on a réussi, et j’y ai bcp travaillé, à créer depuis ses premiers jours un lien particulier avec les professionnels qui s’occupent de lui.

Je ne vous l’apprends pas, être parent d’un enfant double diagnostic, c’est une vie compliquée, difficile, à bas bruit.

 Dans cette vie-là, on s’inquiète beaucoup, on dort peu, on essaye d’avoir 3 coups d’avance pour éviter que les choses ne dérapent.

Dans cette vie-là,  il est difficile de trouver des services d’accueil et d’accompagnement, c’est une vie ou l’un des parents doit arrêter de travailler, c’est une vie qui met à mal le couple parental, c’est une vie où l’on est épuisés, comme un soldat qui peine à trouver le sommeil alors qu’il est allongé dans les tranchées et qu’il sait que la bataille reprendra le lendemain.

En gros, c’est une  vie où il est difficile d’être debout, comme tous les êtres humains, à égalité.

Dans cette vie difficile, il y a une chose qui peut vraiment nous aider c’est de sentir qu’on n’est pas tout seuls. Qu’on est soutenus et entourés par des professionnels concernés, formés. C’est une communication facilité et fluide avec ceux qui s’occupent de nos enfants et un sentiment de coordination autour de nous.

Je dis « nous » mais c’est en réalité « ils » ou « elles » nos enfants, vos patients.

Quand les choses roulent autour de nous, quand on sent que ce n’est pas de nous et de notre hypervigilance que dépendra le bon déroulement des choses ( et dois-je dire, le fait que l’enfant reste en vie) alors on peut se dire qu’on pourra un peu souffler. Mais c’est encore trop rare.

Exemple dents de sagesse.

Jack devait se faire opérer de deux dents de sagesse.

Il est suivi dans un grand hôpital universitaire. Son dossier se trouve là-bas, je décide donc que c’est là que se déroulera l’opération.

Rendez-vous avec le stomatologue à qui je dis les besoins spécifiques de Jack : l’épilepsie, la défficience intellectuelle, le trouble anxieux. Je demande une nuit d’hospitalisation que l’on m’accorde du bout des lèvres « pour me rassurer ». Deux mois avant l’intervention, j’envoie un mail à la neurologue prévenant que cette opération aura lieu.

Le jour arrive, j’accompagne mon fils en salle d’opération, l’anesthésiste l’endort mais l’opération dure trop longtemps. 2 heures et demi plus tard, on m’annonce que les dents sont enlevées mais avec bcp de difficultés parce que malformation cervicales qui a rendu l’intubation très compliquée. Les médecins s’y sont repris à 4 fois et m’annonçent que Jack est au grade III sur IV de la difficulté d’intubation.

Ensuite, on lui administre du Tradonal par intraveineuse, Jack se met à vomir, des heures durant, il vomi ses anti-épileptiques et le matin, les crises commencent. Nous sommes dans le service de chirurgie qui n’est pas habitué à la neuro. Concours de circonstance qui fait que Jack finira en état de mal épileptique dans un service de neuro qui n’était pas prêt à nous recevoir.

Le lendemain, je réalise que Jack ne reçoit pas son antibiotique prescrits après l’extraction des dents de sagesse parce que le stomato croyait que l’on avait quitté l’hôpital.

Cette histoire un peu longue montre combien les choses peuvent vriller rapidement pour nos enfants quand on ne réfléchit pas en équipe autour d’eux. Le stomatologue n’aurait pas dû administrer le tradonal à un patient épileptique, le médecin orthopédiste aurait pu anticiper que Jack sera au grade 3 sur 4 de la difficulté d’intubation, à cause de sa malformation de la colonne.  Et la neurologue aurait dû s’entretenir avec le chirurgien.  Mais qui pour cordonner tout ça ?

L’information ne circule pas et c’est dommageable pour les enfants et pour les parents. Parce que le pire dans l’histoire c’est que je m’en veux. Je m’en veux de ne pas avoir répété à haute voix aux médecins présents dans cette salle d’opération ce à quoi il fallait être vigilant. Mais j’étais dans mon rôle de maman, tenant le téléphone pour lui faire écouter ses chansons préférées et lui caressant la main. Je n’ai pas pensé que je devais aussi endosser le rôle d’infirmière de liaison.

N’oublions pas que nous parents et vous professionnels, nous sommes une équipe.

Nous le sommes quand vous devez nous annoncer le diagnostic, nous le sommes quand nous nous regardons droit dans les yeux avant une déconnexion neuronale, nous

le sommes quand vous essayez un nouveau traitement et que nous savons que nous allons devoir assumer les effets secondaires, nous le sommes quand nous vous écrivons un mail inquiet à minuit et que vous y répondez  à 7h du matin alors que votre journée de soignant vient à peine de commencer.

Nous le sommes aussi quand, en tant que parents, nous nous rendons compte de vos conditions pénibles de travail et quand vous vous mettez à notre place, dans nos chaussures d’aidant proche. Nous le sommes quand les choses tournent bien, quand les choses tournent mal.

Sur le même bateau, nous sommes ballotés en même temps.

Nous sommes aussi une équipe quand l’enfant va mieux, qu’il fait des progrès, qu’il sourit à nouveau, qu’il est moins angoissé, que la vie reprend dessus.

Alors, travaillons ensemble à construire ce lien, à réfléchir ensemble à une meilleure coordination autour des soins spécifiques pour nos enfants.

Que ce soit avec un coordinateur de soin dédié aux personnes en situation de handicap ou des super nurses qui pourrait faire le relais entre les spécialistes et les parents, en cas d’épilepsie réfractaire par exemple.

Parce que c’est en prenant mieux soins des enfants qu’on prendra soin des parents qui sont les meilleurs assistants des professionnels.

Sarah Moon Howe


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