D’autres guerres
Un combat de tous les jours :
Les Ukrainiens, et pas que les Ukrainiens, les Palestiniens, les Israéliens, les Soudanais,
les Géorgiens, d’autres, sont épuisés à cause de tout ce qui leur tombe dessus, à
commencer par les bombes mais pas que, hélas.
Les parents d’enfants en situation de handicap en Belgique souhaiteraient parfois
descendre dans la rue et manifester contre tout ce qui ne va pas dans le monde.
Certains, entre deux crises de leur fils autiste, le change d’un autre toujours pas propre
à vingt ans, le repas à la petite cuillère d’une jeune fille clouée dans un fauteuil
électrique ou le remplacement d’une sonde chez un garçon cérébrolésé, signent à la
sauvette une pétition. Ou font vite un don.
Mais la plupart d’entre eux n’ont ni le temps ni l’argent, qu’ils doivent tout entier
consacrer à leur enfant. Et c’est précisément là-dessus, comme Poutine avec l’Ukraine,
que compte l’État belge : l’épuisement des troupes.
Les familles n’en peuvent plus de lutter sur tous les fronts : médical, thérapeutique,
administratif, économique, familial et personnel. Parce qu’être le parent d’un enfant
autiste ou différent représente un combat de tous les jours.
Ce n’est pas une formule toute faite : selon une étude publiée en 2009 dans The Journal
of Autism and Developmental Disorders, on trouve chez les mères d’enfants autistes un
niveau de stress comparable à celui d’un soldat sur le champ de bataille.
Commençons par le commencement : l’attente d’un diagnostic, ce qui peut prendre des
années, surtout concernant l’autisme ou les pathologies multiples.
Or, c’est le point de départ pour pouvoir enfin entamer des démarches dans le but de
faire reconnaître un handicap. Sans ce sésame, impossible de trouver une école
spécialisée : l’enfant doit absolument être inscrit dans une catégorie de handicap,
obtenir un classement A, B ou C ainsi qu’un certain nombre de points allant de 7 à je ne
sais plus trop combien.
Avoir au bout du fil les organismes censés venir en aide au citoyen, PHARE, la Vierge
Noire ou le SPF Finances -, ne fût-ce qu’obtenir une réponse à un formulaire en ligne,
relève du parcours du combattant.
Quand l’enfant trouve une école spécialisée, pas nécessairement celle qui lui convient,
mais une école (alléluia), encore faut-il pouvoir s’y rendre, si on n’habite pas à côté :
certains élèves passent plus de quatre heures dans un bus scolaire dont les chauffeurs
présentent un taux d’absentéisme extrêmement élevé, problématique dont les
politiques ne se sont toujours pas saisis malgré l’urgence de la situation.
À la place, ils ont édité une brochure recommandant aux chauffeurs de ne pas autoriser
à monter dans leur bus un enfant au comportement difficile, oubliant à quel public,
justement, ils ont affaire.
Mobilisation des parents, et plates excuses des politiques responsables de ladite
brochure, immédiatement retirée. À ce jour, aucune autre piste n’a été mise sur la table.
Des politiques hypocrites !
Encore faut-il, aussi, je continue, que les méthodes éducatives ne soient plus celles d’il
y a cinquante ans, mais intègrent ce que professionnels et associations regroupent sous
l’appellation « bonnes pratiques » : les interventions ABA, ESDM, TEACCH, CAA, PECS
ayant fait leur preuve, notamment au Canada (les parents rêvent tous de déménager
là-bas) et recommandées par le CSS (Conseil Supérieur de la Santé) et le KCE
(Kenniscentrum Expertise).
Les parents qui ont la chance d’avoir une école sont malgré tout obligés de compenser
certaines prises en charge, la logopédie pour n’en citer qu’une, et font appel à des
thérapeutes extérieurs.
Donc, merci monsieur le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke : les prestations ne
sont pas remboursées, contrairement à celles dispensées en pluridisciplinaire.
Mais ces dernières ne durent qu’une demi-heure par semaine, et encore.
Comme le dit Catherine, maman d’un jeune atteint d’autisme sévère : on ne va pas
aller loin avec ça.
Que voulez-vous, madame, il faut bien faire des économies quelque part. Alors, autant
les faire sur le dos des personnes en situation de handicap.
Très mauvais calcul, car plus la prise en charge est précoce, adéquate et régulière, plus
on évite les sur-handicaps à l’âge adulte, et moins ça coûte à la société.
Mais vu que les politiques ne voient pas plus loin que le bout de leur prochaine
réélection, les parents (qui paient leurs impôts comme tout le monde, faut-il le
rappeler) se retrouvent le bec dans l’eau.
Le papa d’un jeune homme autiste verbal de bientôt 40 ans le répète, le martèle,
depuis des années : le temps des parents n’est pas celui des politiques.
Sur ce dossier, celui de la logopédie non remboursée à moins d’avoir un QI de 86
(pourquoi 86 ?), les parents se sont une fois de plus mobilisés. Car ils savent, eux, que
quel que soit le QI de leur enfant, souvent non testable d’ailleurs, la logopédie leur fait
faire d’énormes progrès.
Ma fille, pour prendre un exemple, s’est mise à communiquer avec un carton AZERTY
grâce à la motivation d’une logopède, qui y croyait dur comme fer.
Un ado a fait un bond de géant grâce à la méthode PECS, un système de
communication par échanges d’images, pour laquelle la logopède s’occupant de son fils
avait suivi la formation, de sa propre initiative.
Ensemble, avec les professionnels et les associations, les parents ont donc revêtu leur
tenue de combat (tee-shirts floqués de slogans), brandi leurs armes (calicots,
pancartes) et manifesté leur mécontentement (leur colère, leur rage, leur frustration,
leur dépit) auprès des responsables politiques concernés.
Ceux-ci, comme d’habitude, les ont bombardés de promesses dont chacun sait déjà,
surtout ceux qui les ont prononcées, qu’elles ne seront pas tenues.
À ces réunions où ils acceptent de recevoir les parents sous peine d’être pointés du
doigt dans les médias se montrant solidaires de la cause, ils ont souvent la larme à
l’oeil, oui, oui.
Combien de fois n’a-t-on pas entendu des représentants politiques prétendre qu’ils
comprenaient les parents : tel membre d’un parti n’a-t-il pas eu un petit frère
handicapé mort après quelques mois ? Une autre ne repense-t-elle pas à son
grand-père aveugle, qu’elle adorait ? Le suivant a un neveu (si ça se trouve, un
arrière-petit-neveu par alliance) vaguement autiste et donc, lui aussi comprend, lui
aussi est « avec les familles ». La dernière a une tante paraplégique et se sent elle
aussi légitime pour dire qu’elle est « particulièrement » sensibilisée à la problématique.
Un parent dans l’assistance précise, avec des gants mais les dents serrées, que sa
tante a toutes ses facultés intellectuelles et que donc son handicap n’a pas grand-chose
à voir avec celui de son enfant non verbal, trisomique, autiste et diabétique.
Quand les politiques n’ont pas de personnes en situation de handicap à faire valoir dans
leur famille, ils inventent un ami très proche dont l’enfant est dans une situation
similaire, ils ne reculent devant rien.
Il leur arrive de commander des études payées un avion (de chasse), et qui ne servent
strictement à rien, à part gagner du temps, et nous faire croire qu’ils « agissent ».
La dernière en date recensait les offres de services, de répit et d’hébergement (que les
parents connaissent par coeur, il y en a si peu, on en a vite fait le tour), alors que
familles et associations demandent que soit dressé un recensement des personnes
concernées (ce qui est le cas en Flandre), ainsi que de leurs besoins.
À moins qu’ils ne décident, comme IRISCARE, organisme bicommunautaire d’intérêt
soi-disant public, de refaire leur site internet, en plus coloré, en plus « attractif ».
Comme le dit la maman de ce jeune homme coincé à la maison (en plus de l’être dans
son fauteuil électrique) : les personnes en situation de handicap peuvent crever, mais
ils seront informés !
Ce dont on a surtout besoin, et que réclament à cor et à cris depuis des années les
associations, c’est d’un cadastre quantitatif des besoins des personnes en situation de
handicap de grande dépendance, mais ça…
Tiens, à propos, quid du gouvernement de Bruxelles-Capitale, qu’on attend depuis un
an ?
La 2e et dernière partie de cette carte blanche sera publiée très prochainement.
Corine Jamar
Juin, 2025