Tous les quatre ans, les États qui ont ratifié la Convention relative aux droits des personnes handicapées sont évalués par l’ONU. La deuxième évaluation de la Belgique est en cours. l’État belge a remis son rapport à l’ONU en avril 2020. Dans ce processus d’évaluation, UNIA est chargé de rédiger un rapport parallèle afin de commenter, corriger ou compléter les informations fournies par la Belgique.
>>> Lire le rapport d’UNIA <<<
L’inclusion des personnes en situation de handicap n’est toujours pas garantie, et ce, en dépit du nouvel article 22ter de notre Constitution. C’est en tout cas l’un des constats relevés par le dernier rapport d’Unia sur le respect des droits des personnes handicapées. Publié le 3 décembre 2021 à l’occasion de la Journée internationale des personnes handicapées, ce rapport de 38 pages contient 115 constats sur le handicap en Belgique et 80 recommandations. Que retenir de ce rapport ?
Une inclusion toujours difficile
En 2021, la Constitution belge s’était enrichie d’un article 22ter garantissant l’inclusion des personnes en situation de handicap, ainsi que le droit à des aménagements raisonnables. “Toutefois, les différentes autorités belges n’ont toujours pas mis leur cadre légal en conformité avec la Convention. De nombreux textes de loi ne sont pas conformes et n’ont pas été modifiés ou abrogés, comme par exemple, la loi de protection des malades mentaux et la loi sur la capacité juridique.“
De plus, “plusieurs textes de loi relativement récents, qui pourtant se prévalent des principes de la Convention, ne sont pas conformes à celle-ci.” Le rapport d’UNIA cite en exemple le décret visant à encadrer la mise en place des aménagements raisonnables pour les élèves de la Communauté française, qui ne concerne pas les élèves de l’enseignement spécialisé, ni ceux qui ne peuvent atteindre les objectifs d’apprentissage. La législation relative à la réintégration des travailleurs malades de longue durée ne reprend, non plus, pas la notion essentielle d’aménagements raisonnables.
Et force est de constater que ces aménagements raisonnables ne sont pas encore assez connu ou demandés. Ni par les familles, ni par les professionnels.
Sur le plan de la désinstitutionnalisation, “aucune communauté n’a élaboré de plan clair comportant un aperçu du nombre de personnes handicapées résidant en institution et un plan d’actions chiffré pour réduire ce nombre“. Au contraire, on continue à investir considérablement dans de nouvelles institutions exclusivement destinées aux personnes handicapées. Ainsi, le Fonds flamand d’infrastructure affecté aux matières personnalisables a encore investi 310.992,46 euros dans des institutions entre le 1er janvier et le 5 mai 2021. En 2020, il s’agissait d’un budget total de 1.872.154,62 euros. Les personnes qui sont à la recherche de modes de vie plus inclusifs se heurtent à une réglementation complexe et à des écueils administratifs et organisationnels (budgets limités, procédures administratives complexes, normes urbanistiques strictes).
Sensibilisation et manque de places
Sur la question de la sensibilisation aux handicaps et à l’inclusion, UNIA affirme que : “Hormis quelques actions ponctuelles, les autorités n’ont pas déployé de plans d’actions et de stratégies pour faire connaitre la Convention.” Pareillement, alors que 80% des personnes handicapées ont un handicap invisible, peu de sensibilisation est faite à ce sujet. Le handicap est encore bien trop souvent représenté par “la personne en chaise roulante“.
Les handicaps invisibles revêtent donc “Une réalité encore méconnue en Belgique. Leurs problèmes sont sous-estimés, minimisés, et le monde qui les entoure ne voit pas à quels obstacles elles sont confrontées.“
Concernant les manques de possibilités de soutien à la maison, mais aussi dans les services généraux, ceci “pousse beaucoup de parents à opter pour une institution. De plus, par peur de perdre la place, les parents choisissent souvent de placer leur enfant dans l’institution plus de jours que souhaités.” Cette institutionnalisation presque automatique montre le problème structurel du manque de solutions adaptées pour le handicap.
Accessibilité
Dans la consultation d’UNIA, une large majorité de répondants déclare “avoir difficilement accès aux bâtiments, à des sanitaires, à la voirie et aux transports publics en raison de leur handicap. 71% d’entre eux estiment par ailleurs qu’il y a eu peu ou pas de progrès depuis 2014.”
Le reproche fait aux plans adoptés en matière d’accessibilité par les autorités fédérales, régionales et communales est qu’ils “ne sont pas suffisamment ambitieux ni contraignants et ne comportent pas d’échéances à long terme“, quand de tels plans existent…
UNIA ne manque pas aussi de rappeler que “le réseau ferroviaire belge (SNCB) est encore loin d’être accessible en autonomie. Les voyageurs handicapés restent dépendants de l’assistance (disponible uniquement dans 115 gares sur 555) et vivent de nombreuses expériences négatives sur le réseau.”
De manière générale, le respect des normes existantes en matière d’accessibilité n’est pas bien vérifié par les autorités (notamment en raison d’un manque de formation) lors de l’octroi des permis d’urbanisme et
n’est jamais contrôlé une fois les infrastructures construites. Il n’y a pas de sanctions en cas de non-respect des normes d’accessibilité et les personnes handicapées ne disposent pas de voies de recours efficaces pour signaler les manquements en la matière.
Sur la justice
Le personnel de la justice méconnaît souvent les réalités vécues par les personnes handicapées. Les magistrats sont très peu formés et sensibilisés aux besoins des personnes handicapées et à la question du handicap au sens large. Ainsi, les personnes ne sont pas suffisamment entendues par le juge, dans le cadre des procédures qui les concernent, notamment pour les décisions de mise en observation des personnes avec des troubles psychiques ou de mise sous régime de protection judiciaire.
Droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
La Belgique a connu ces dernières années des dossiers dramatiques de traitements cruels et dégradants sur des personnes souffrant de troubles psychiques. “Chaque fois, il s’agissait d’une intervention policière qui a mal tourné. Il y a eu trois dossiers connus où les personnes sont décédées suite à ces interventions. Il s’agit des dossiers de Jonathan Jacob (2010), Cémil Kaya (2015) et Jozef Chovanec (2018). Le manque de respect quant aux personnes en souffrance psychique, les techniques de contention inappropriées et le manque de formation des agents ont été mis en avant.” Jusqu’à présent, “la Belgique n’a toujours pas mis en place un mécanisme de prévention indépendant pour prévenir et combattre les abus, les mauvais traitements et la torture dans tous les lieux de détention. Un plan d’actions est en cours d’élaboration au Ministère de l’Intérieur“.
Dans les hôpitaux psychiatriques, dans l’enseignement spécialisé, en institution pour personnes handicapées, en maison de repos et de soins et dans les lieux de détention, le rapport UNIA affirme que “la contention et l’isolement sont encore trop souvent utilisés comme moyen punitif ou pour faire face à un manque de personnel dans des lieux de vie fermés ou semi-fermés.“
La moitié des personnes en situation de handicap ayant participé à la consultation d’UNIA ont déclaré avoir été victimes de violence physique ou psychique. Cette violence n’est pas seulement le fait d’inconnus, mais d’individus issus de l’environnement proche de la victime (partenaire, membre de la famille, éducateur…). Les répondants ont fait état de divers obstacles auxquels ils se heurtent pour signaler ces actes de violence : ne pas être crus par les autorités compétentes, voir leur plainte classée sans suite, ne pas disposer d’aménagements raisonnables dans la communication avec la police et la justice.
Concernant les violences faites aux femmes handicapées, il n’existe aucun état des lieux en Belgique. La consultation d’UNIA révèle pourtant que les femmes handicapées déclarent davantage avoir subi de la violence que les hommes handicapés. Selon une recherche menée en Flandre en 2018, sur les 120 femmes qui ont témoigné, chacune a été au moins une fois confrontée à des abus sexuels. Les femmes handicapées sous-utilisent les services d’aide aux femmes victimes de violence.
Respect du domicile et de la famille
Depuis le 1er septembre 2020, l’avancée introduite par la loi de reconnaissance des aidants proches (à savoir le bénéficie, sous certaines conditions, d’un congé professionnel thématique de 3 mois) ne répond
que partiellement aux besoins des aidants proches. Notamment, la période de 3 mois n’est pas suffisante, seuls les aidants d’un proche de grande dépendance bénéficient d’un statut et les aidants proches souffrent de problèmes de santé physique (hypertension, assuétudes, insomnies, décès prématurés…) et mentale.
Les personnes handicapées sont confrontées à un manque de services d’accompagnement et d’outils pédagogiques adaptés qui leur permettent d’exercer le droit d’être parent sur un pied d’égalité avec les autres et de respecter au mieux le bien-être de l’enfant.
Éducation
Il n’existe dans aucune Communauté de plan pour assurer la transition vers un seul système d’enseignement inclusif, avec des objectifs intermédiaires et un calendrier précis dans lequel ces objectifs intermédiaires doivent être atteints. Au contraire, on continue à investir dans l’enseignement spécialisé avec la création de nouveaux types et d’établissements supplémentaires.
Ces investissements réalisés dans l’enseignement spécialisé, couplé à un encadrement très large, mènent de nombreux parents à opter pour cette forme d’enseignement. La population scolaire dans l’enseignement spécialisé continue à augmenter en Flandre (4,20% des élèves fréquentaient l’enseignement spécialisé durant l’année scolaire 2020-2021 contre 3,96% en 2017-2018), en Communauté française (4,10% des élèves fréquentaient l’enseignement spécialisé durant l’année scolaire 2018-2019 contre 3,67% en 2008-2009)70 et en Communauté germanophone (2,57% des élèves fréquentaient l’enseignement spécialisé durant l’année scolaire 2020-2021 contre 2,04% en 2017-2018). L’enseignement spécialisé francophone continue à délivrer peu d’attestations de réussite : en 2019 par exemple, 148 élèves ont obtenu leur CEB (certificat d’étude de base) en primaire et 638 en secondaire. Une évaluation de l’enseignement spécialisé est prévue dans l’accord de gouvernement. A ce jour, rien n’est entrepris.
Les mesures prises pour améliorer le droit à l’éducation des élèves handicapés relèvent souvent de l’intégration et non de l’inclusion. L’accessibilité de l’enseignement reçoit encore très peu d’attention. Les
pouvoirs publics doivent faire clairement comprendre aux acteurs de l’enseignement ce qu’on entend par « enseignement inclusif » et ce qu’on peut attendre d’une école concernant l’accessibilité du curriculum et
des activités en classe.
En Communauté française, le droit aux aménagements raisonnables a été limité aux élèves dont la « situation ne rend pas indispensable une prise en charge par l’enseignement spécialisé » et pour autant qu’ils « ne remettent pas en cause les objectifs d’apprentissage ». Les écoles ordinaires expriment un manque de soutien empêchant l‘évolution vers l’enseignement inclusif.
Beaucoup trop de bâtiments scolaires restent par ailleurs inaccessibles en Belgique.
L’accès aux soins de santé
L’accès à des soins de santé de qualité est compromis pour les personnes handicapées en raison de l’inaccessibilité des infrastructures (hospitalières, médicales et paramédicales) et des équipements médicaux et le manque d’aménagements raisonnables.
Plusieurs études, y compris la consultation d’UNIA, ont montré que le prix des soins grevait les budgets des personnes handicapées. 4 personnes sur 10 ont déjà renoncé au moins à un soin pour des raisons financières, en Wallonie et à Bruxelles. Les femmes sont plus nombreuses à renoncer à des soins que les hommes.
Le personnel de la santé est aussi trop peu formé à la prise en compte des besoins des personnes handicapées et à leurs droits aux aménagements raisonnables.
Un recensement bien mérité
UNIA déplore aussi que le rapport de la Belgique à l’ONU ne fournisse “pas de chiffres sur le nombre d’enfants qui vivent en institution“. Les données disponibles sont limitées (entre autres, aucune donnée ventilée sur le type de handicap) et difficilement comparables (définitions différentes du handicap). Elles sont réparties entre les différents domaines politiques. Il est dès lors difficile d’identifier des évolutions et d’établir des liens.