Chaque enfant a le droit de bénéficier des mesures et services qui concourent à son développement. Dans toute décision qui le concerne, l’intérêt de l’enfant est pris en considération de manière primordiale.
Constitution belge, Titre II des belges et de leurs droits, article 22.
Ainsi, chaque enfant en situation de handicap a droit aux aménagements raisonnables afin de réduire les effets négatifs liés au milieu scolaire inadapté à son handicap. Plus précisément, le nouveau décret du 7 décembre 2017 définit les aménagements raisonnables comme suit : « mesures appropriées, prises en fonction des besoins dans une situation concrète, afin de permettre à une personne présentant des besoins spécifiques d’accéder, de participer et de progresser dans son parcours scolaire, sauf si ces mesures imposent à l’égard de l’établissement qui doit les adopter une charge disproportionnée ».[1]
Pourtant, UNIA reçoit régulièrement des signalements de parents d’enfants en situation de handicap qui rencontrent des difficultés à obtenir des aménagements raisonnables. Les refus se posent aussi bien dans l’enseignement ordinaire que dans le spécialisé. Pour rappel, la loi du 25 février 2003 indique ceci : « l’absence d’aménagements raisonnables pour la personne handicapée constitue une discrimination au sens de la présente loi. »[2]
Plus loin, la loi précise ceci : « est considéré comme un aménagement raisonnable l’aménagement qui ne représente pas une charge disproportionnée, ou dont la charge est compensée de façon suffisante par des mesures existantes. » [3] C’est précisément sur ce motif que l’aménagement demandé est jugé « disproportionné » et que les élèves en situation de handicap et leurs familles se voit alors refuser l’aménagement raisonnable. Il convient donc de s’arrêter quelques instants sur le caractère raisonnable des aménagements dans l’enseignement.
À la lumière de l’article II du protocole relatif au concept d’aménagements raisonnables en Belgique, le nouveau décret mentionne que le caractère «raisonnable » de l’aménagement doit être évalué sur la base des indicateurs suivants:
- L’impact financier : le caractère raisonnable d’un aménagement doit être évalué à la lumière de la capacité financière de l’école.
- L’impact organisationnel : Pour autant que l’aménagement ne perturbe pas durablement l’organisation en classe.
- La fréquence et la durée prévue de l’utilisation de l’aménagement : Un aménagement bien qu’il soit coûteux sera considéré comme raisonnable s’il est utilisé régulièrement ou pour une longue durée.
- L’impact de l’aménagement sur l’environnement et les autres utilisateurs : tant que l’aménagement ne fait pas obstacle aux autres élèves, alors il est raisonnable.
- L’absence ou non d’alternatives équivalentes : Un aménagement sera plus vite considéré comme raisonnable si aucune alternative équivalente n’existe.
- L’impact qualitatif sur la vie de l’élève concerné : Plus il est question d’un effet positif sur la qualité de vie, plus l’aménagement sera considéré comme raisonnable pour l’élève.
Nous contestons le fait que l’école soit juge et partie dans le processus d’analyse de la demande d’aménagement raisonnable. En effet, sur base de la grille d’évaluation ci-dessus, les enseignants, le directeur d’école et le personnel du centre PMS, ainsi que tout autre acteur utile, examinent ensemble les aménagements qui peuvent répondre au mieux aux besoins de l’élève. L’évaluation du caractère raisonnable dépend donc du bon vouloir des écoles. De plus, le centre UNIA rapporte que les textes légaux qui obligent les aménagements raisonnables sont mal connus des acteurs impliqués dans le processus de concertation.
Nous plaidons pour un contrôle externe qui évalue l’application des aménagements raisonnables dans les écoles de l’enseignement ordinaire. Par ailleurs, il est difficile d’entrevoir des aménagements raisonnables de type pédagogique quand on sait que les professeurs ne sont pas formés à enseigner à des élèves avec handicap. Nous demandons donc d’inscrire dans la formation initiale et continuée des écoles supérieures pour enseignants la formation aux particularités d’apprentissage liées au handicap.
Nous plaidons également pour une lecture de la grille d’évaluation du protocole belge relatif au concept d’aménagements raisonnables à la lumière de la CDPH. Si le protocole précise que l’aménagement pour être raisonnable ne doit pas perturber l’organisation en classe et à l’école, il convient de rappeler que l’enseignement inclusif implique de mettre en œuvre des « programmes d’études flexibles et des méthodes d’enseignement et d’apprentissage adaptés aux différents niveaux, besoins et styles pédagogiques » ainsi que des « formes d’évaluation souples et multiples »[4].
Lorsqu’on évoque le critère de l’impact organisationnel, il convient de rappeler que la Fédération Wallonie-Bruxelles a adopté le décret « Missions » du 24 juillet 1997 qui prévoit la mise en œuvre de la pédagogie différenciée. Il s’agit d’une démarche d’enseignement qui consiste à varier les méthodes d’apprentissage pour tenir compte de l’hétérogénéité des classes ainsi que la diversité des modes et des besoins d’apprentissage[5]. Dès lors, les écoles de l’enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles sont obligées d’adapter les méthodes pédagogiques aux besoins des élèves en situation de handicap.
Partant du principe que l’enseignement spécialisé est de fait adapté aux élèves porteur d’un handicap, la législation prévoit que la mise en œuvre des aménagements raisonnables n’a pas vocation à s’appliquer dans l’enseignement spécialisé. Pourtant, de nombreuses situations alarmantes ont démontré que les élèves du spécialisé ne bénéficient pas d’un programme éducatif défini en fonction des besoins de chacun.
Prenons l’exemple du Plan Individuel d’Apprentissage (PIA). En théorie, l’élève en situation de handicap et ses parents sont en droit d’exiger la mise en place d’outils méthodologiques personnalisés permettant de suivre l’évolution de chaque enfant tout au long de sa scolarité. En effet, le décret du 3 mars 2004 oblige les écoles de l’enseignement spécialisé de mettre en place le PIA pour chaque enfants en collaboration avec l’ensemble des acteurs concernés par l’apprentissage de l’élève. Ainsi, l’élèves et ses parents, l’équipe pédagogique, les éducateurs, le centre PMS, les logopèdes, les thérapeutes définissent ensemble des objectifs particuliers à atteindre sur une période déterminée et qui seront évalués par la suite à des moments choisis au préalable. L’objectif du PIA est de soutenir l’élève de façon individualisée étant donné que les élèves du spécialisé ne présentent pas les mêmes handicaps et donc pas les mêmes besoins.
Malheureusement, force est de constater que cet outil pédagogique pourtant indispensable dans l’accompagnement de l’élève est dans de nombreux cas pas appliqué. En 2010, la Fédération des Associations de Parents de l’Enseignement Officiel (FAPEO) relevait des difficultés sur le terrain, parmi lesquelles : « le fait que l’outil est mal compris au sein des équipes pédagogiques, une démarche perçue comme très administrative et parfois même son sens incompris, faute de temps et d’accompagnement »[6].
Il est clair que le PIA ne peut être mis en œuvre efficacement si les professeurs ne sont pas formés aux particularités d’apprentissage liées aux handicaps. Il est donc urgent de préparer les enseignants tant au niveau de la formation initiale que de la formation continue afin de réaliser un projet éducatif efficace permettant à l’enfant de progresser et de s’épanouir tout le long de sa scolarité.
En outre, les parents ne sont pas toujours informés de l’existence du PIA, pourtant supposé être conçu en collaboration avec les parents. Une maman témoigne de son expérience :
« Yannis vient de débuter en intégration…et on ne nous en a pas parlé…Je ne sais pas trop en quoi ça consiste en effet…Dois-je réclamer à ce sujet une discussion avec les instits (ou PMS) ?? »
Par ailleurs, il semblerait que la mise en place d’un PIA n’est pas automatique dans les écoles de l’enseignement spécialisé et de l’enseignement ordinaire. Une maman témoigne de son expérience :
« Je sais très bien que c’est obligatoire, mais je pense qu’on sait tous aussi très bien que ce n’est pas mis en place de manière très régulière…l’ancienne école d’Emrys, je sais que ce n’était du tout une priorité ni même vu comme un outil de travail mais comme une espère de corvée inutile…J’ai préféré arrondir les angles plutôt que de me battre pour obtenir quoi ? Ils n’auraient jamais pris leurs responsabilités de toute façon, tout ce que j’aurais gagné c’est de mettre l’école encore plus à dos et des répercussions directes sur mon fils qui fréquentes l’école 8 heures par jour dans des conditions totalement inappropriées à son handicap qui n’était d’ailleurs même pas compris du tout ! ».
Que ce soit dans l’enseignement ordinaire comme dans l’enseignement spécialisé, que ce soit pour les parents comme pour les professeurs, le flou persiste quant à la mise en œuvre des aménagements raisonnables pour les élèves en situation de handicap. Il est donc urgent d’éclaircir le caractère raisonnable des aménagements et ce à la lumière de la constitution belge et de la CDPH.
Sources :
19 juillet 2007. Protocole relatif au concept d’aménagements raisonnables en Belgique
[1]Décret relatif à l’accueil, à l’accompagnement et au maintien dans l’enseignement ordinaire fondamental et secondaire des élèves présentant des besoins spécifiques, article 2.
[2] Loi du 25 février 2003, chapitre II, article 2.
[3] Ibid.
[4]Observation générale n°4 (2016) sur le droit à l’éducation inclusive §12c et 26.
[5] Décret « Mission » du 24 juillet 1997.
[6] La ligue de l’enseignement et de l’éducation permanente asbl, le PIA un projet « pour » et « avec » l’élève ?