Le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a adopté la semaine dernière le décret sur la création des Pôles Territoriaux. Bien que cette réforme ait pour but l’inclusion des enfants à besoins spécifiques dans l’enseignement ordinaire, nous restons circonspects quant à son application et ses effets concrets. Une réforme systémique et inclusive, vraiment ?
>>> Des questions sur les pôles territoriaux ? <<<
Cette réforme n’est pas systémique. Les pôles territoriaux sont des “structures attachées à l’enseignement spécialisé“. L’élève bénéficiant des pôles territoriaux doit obligatoirement être attaché à une école spécialisée, désignée comme école siège. La réforme conserve donc la vieille partition entre écoles spécialisées et écoles ordinaires, et les pôles territoriaux ne modifient pas la structure de notre système éducatif. Et pourtant, de nombreux exemples de systèmes éducatifs à filière unique, c’est-à-dire sans séparation entre les élèves à besoins spécifiques et les autres, existent dans d’autres pays. C’est par exemple le cas de l’Italie, où l’école spécialisée n’existe pas.
Cette réforme ne propose pas de véritable inclusion. La réforme des pôles territoriaux favorise une intégration qui avait déjà été initiée précédemment par le mécanisme d’intégration. Avec cette nouvelle réforme, tout enfant en situation de handicap devra passer obligatoirement 1 an dans le spécialisé avant de pouvoir bénéficier d’une intégration (et non d’une inclusion), condamnant ainsi des élèves à besoins spécifiques qui auraient pu être inclus directement dans l’enseignement ordinaire. L’école “de référence”, reste l’école spécialisée, et la partition “élèves valides / élèves handicapés” n’est toujours pas abolie.
>>> Consultez le communiqué d’Inclusion ASBL sur la réforme <<<
Cette réforme n’a pas pris en considération le changement de Constitution et l’apparition de l’article 22ter, garantissant une inclusion pour TOUS, ainsi que la garantie d’aménagements raisonnables. Elle n’a pas non plus pris en considération le fait que la Fédération Wallonie-Bruxelles a été condamnée par le Comité Européen des Droits Sociaux pour manque d’effort dans l’inclusion des enfants avec handicaps dans l’enseignement ordinaire. Le projet risque donc d’être obsolète avant même d’être appliqué (horizon 2025-2026).
Cette réforme ne prend pas en considération les recommandations européennes en matière d’éducation inclusive. En 2018, le Conseil de l’Union Européenne déposait ses recommandations relatives à “la promotion de valeurs communes, à l’éducation inclusive et à la dimension européenne de l’enseignement.”
Parmi lesquelles :
La mise en place d’un accès égalitaire à une éducation inclusive de qualité pour tous les apprenants, notamment ceux qui sont issus de l’immigration ou de milieux socioéconomiques défavorisés, ceux qui ont des besoins spécifiques et ceux qui présentent un handicap — conformément à la Convention relative aux droits des personnes handicapées —, est un élément indispensable pour parvenir à une cohésion accrue dans nos sociétés.
Recommandations du Conseil de l’Union Européenne (2018/C 195/01)
Cette réforme ne remet pas en cause la formation initiale des enseignants, et ne revient pas sur l’une des revendications les plus importantes du secteur depuis de nombreuses années : “Une formation au handicap dans le supérieur pour les enseignants“. De même, peu d’informations ont été rendues publiques quant à la formation continue des enseignants. La réforme semble s’appuyer davantage sur l’école spécialisée et les moyens qu’on va lui octroyer, plutôt que sur un changement de paradigme.
L’un des arguments avancés en faveur des pôles territoriaux (et du maintien de l’enseignement spécialisé) est que l’expertise des enseignants du spécialisé permet un meilleur accompagnement de l’enfant. Mais, comme le rappelle l’UFAPEC : en Belgique, le diplôme requis pour enseigner dans l’enseignement spécialisé est le même que pour l’enseignement ordinaire. Il n’y a donc aucune formation supplémentaire pour les enseignants du spécialisé, hormis les six demi-journées formatives obligatoires, réparties sur trois années (au lieu d’une pour les enseignants de l’ordinaire). Concrètement, les enseignants de l’ordinaire ont donc une formation continue obligatoire plus importante que ceux du spécialisé. Ce qui ne fait donc pas de l’enseignement spécialisé un enseignement spécial, mais un enseignement destiné à un “public spécial.”
Une vraie inclusion à l’école sera impossible tant que le système éducatif organisera la ségrégation de nos élèves.