Projeté dans le cadre du TEFF, Marche ou crève (2018) nous plonge au cœur de la relation entre une aidant proche et sa sœur handicapée. Retour sur l’une des œuvres les plus bouleversantes de la cinquième édition de ce festival.
Réalisé par Margaux Bonhomme, ce long-métrage décrit avec justesse le quotidien d’Élisa (Diane Rouxel), tiraillée entre son individualisme et son empathie envers sa sœur Manon (Jeanne Cohendy), atteinte d’un autisme de grande dépendance. Tout au long du récit, la cinéaste française ne cesse de mettre l’accent sur le combat mené par Élisa et l’alternance des sentiments (l’amour, la tendresse, la haine, la culpabilité, l’égoïsme). Absolument rien n’est épargné au spectateur. Élisa se révèle en proie au doute quant à son avenir car elle se sacrifie continuellement pour sa sœur et doit se résoudre à renoncer à certains de ses projets personnels. Margaux Bonhomme tente de formuler une réponse pertinente à l’inévitable question : « Comment exister au sein d’une famille lorsque l’enfant handicapé occupe en permanence notre attention ? » En d’autres mots : « Comment s’épanouir en tant qu’individu quand on est aidant proche ? ».
Dans Marche ou crève, chacun des protagonistes se retrouve enfermé dans le cadre, comme suffoquant dans un espace trop exigu pour lui-même. La réalisatrice souligne la gravité de la situation à laquelle sont confrontés Élisa et les siens. Une tension règne et l’équilibre de la famille s’en trouve fragilisé. Le futur de Manon demeure relativement incertain et son père (Cédric Kahn) préfère éluder ce sujet. Manon se montre imprévisible, les crises et les moments d’accalmie se succédant sans véritable répit. Margaux Bonhomme ne cherche jamais à ménager le public et décrit sans concession ces instants de vie, allant jusqu’à filmer pendant de longues minutes les soins apportés à Manon et ses cris. Ces séquences, souvent éprouvantes pour le spectateur, possèdent un caractère contraignant. En effet, même s’il ne peut plus supporter l’insupportable, ce dernier se doit de prendre pleinement conscience de cette réalité. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’action prend place dans le Vercors, où la famille occupe une ferme cernée par d’imposantes montagnes. Élisa et son père ont pour habitude de pratiquer l’escalade et affrontent de nombreuses pentes vertigineuses qui symbolisent la destinée de Manon qui représente, à son tour, un parcours journalier semé d’obstacles pour eux-mêmes.
Le film aborde également une thématique capitale : celle du choix émis par la famille. Tout d’abord, Élisa et son père refusent catégoriquement de confier Manon à un centre spécialisé tandis que la mère, moralement épuisée, a préféré quitter son mari. Par la suite, l’adolescente, constatant que le cas de sa sœur devient presque impossible à gérer, modifie progressivement ses positions. De son côté, le père s’interroge constamment à propos du sort réservé à Manon : « trouvera-t-elle ses marques dans ce nouvel environnement ? » et « lui réservera-t-on l’attention requise ? ». Lorsque la famille décide de placer Manon dans cet établissement, elle y découvre le réel fonctionnement et remarque qu’une nette rupture s’opère avec le quotidien à la maison. Le fait que Manon puisse profiter d’un seul bain par semaine en constitue le premier élément déclencheur. Dès lors, ce point, loin d’être un simple détail, nous invite à repenser la place des personnes handicapées à l’intérieur de ces structures et à continuer la lutte pour l’amélioration de leur prise en charge.
Au final, Marche ou crève est une formidable leçon de vie, une œuvre d’une rare intensité dans laquelle un être humain peut être absorbé par des émotions négatives mais où l’amour perdure encore et toujours.
Grâce au festival, le film Marche ou crève a pu être récompensé du PRIX RTBF destiné aux longs métrages, prix consistant en un préachat du film par la RTBF et sa diffusion sur les ondes.
En fin de séance, Thibauld, le chargé de communication du GAMP, fut invité par Luc Boland (l’organisateur du TEFF) pour parler du film aux côtés d’Eléonore, représentant l’ASBL Fratriha. Ce fut l’occasion pour nous de rappeler l’une de nos revendications prioritaires : la création d’un statut pour l’aidant proche et le manque de solutions adaptées pour le handicap de grande dépendance.
Vincent Abieri